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  • Interview de Michel Quillé, chef d'équipe du projet Euromed Police

    Posté le 04 mai 2020

    Le projet Euromed Police IV a pris fin le 31 janvier dernier. Ce programme, qui est financé par la Direction Générale du Voisinage et les Négociations d’Elargissement (DG NEAR) de la Commission européenne, a débuté en 2004. Quatre phases d’Euromed Police ont depuis été mises en œuvre, parmi lesquelles les deux dernières (2011-2014 et 2016-2020) le furent par un consortium dirigé par Civipol.

    Ce projet associe les Etats membres de l’Union européenne et leurs voisins de la rive sud-méditerranée, à savoir le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, la Jordanie, Israël, la Palestine, le Liban, la Libye et la Syrie (cette dernière étant actuellement suspendue). Visant à la fois la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, Euromed Police revêt une importance stratégique en matière de coopération policière euro-méditerranéenne.

    Michel Quillé, qui en fut le Chef d’équipe depuis 2016, évoque son expérience à la tête d’Euromed Police.

    • Michel Quillé, parlez-nous s’il vous plait de votre parcours :

    Après avoir obtenu un Diplôme de Sciences Politiques et une Maîtrise de Droit Public j’ai été reçu au Concours de Commissaire de Police et ai choisi d’exercer en Police Judiciaire parce que cette branche de la police me paraissait correspondre à l’activité professionnelle active et intense à laquelle j’aspirais. Et cette attente n’a pas été déçue, loin de là !

    A l’issue d’un parcours initiatique très complet au Service de Police Judiciaire de Toulouse, et pour pouvoir accéder au grade supérieur, il m’a été confié la Direction de la Police Judiciaire pour Grenoble et sa région, lieux où la criminalité organisée est très active et fortement implantée.

    C’est ce passage dans cette ville qui a orienté de façon décisive ma carrière : en effet arrivé depuis peu à mon poste, la police italienne nous informait qu’un « big boss » mafieux sicilien, utilisant la présence d’une importante communauté sicilienne à Grenoble, y avait installé une famille mafieuse du même type que celles que l’on trouve à Corleone ou à Palerme. Pour démanteler cette structure criminelle j’ai utilisé les principes d’action qui sont restés les miens tout au long de ma vie professionnelle : approche multidisciplinaire et utilisation efficiente de la coopération policière internationale. Dans ce cas cela a consisté en la création d’une « Task force » associant services d’enquête classique et services fiscaux et à coopérer très étroitement avec la Direction Antimafia de la police italienne.

    Cette approche a permis le démantèlement de cette famille mafieuse et l’arrestation de son « boss » grenoblois mais également de son « boss » sicilien recherché en Italie, en fuite en France à ce moment-là. Cette séquence m’a également permis de constater que la police et la justice française étaient sous-dimensionnées en législation pénale et en instruments opérationnels pour lutter contre la criminalité organisée. Au vu des carences que j’avais constatées, j’ai proposé la création d’une unité nationale de lutte antimafia qui n’existait alors pas. Cette demande a été agréée et au vu de mon expérience récente de la mafia italienne, j’ai été amené à créer en 1995 à la Direction Centrale de la Police Judiciaire la Section Centrale d’Investigation sur le Crime Organisé que j’ai dirigée jusqu’en 1999 avec pour cibles les implantations des mafias italiennes, russophones ou asiatiques en France.

    Toujours dans cette optique d’amélioration des outils d’enquête, avec un représentant du Ministère des Affaires Etrangères et un magistrat français, nous avons poussé à ce que la France prenne en 1998 le leadership pour la rédaction dans le cadre de l’ONU d’une convention internationale de lutte contre la criminalité organisée. Ceci a été validé après avoir pu en convaincre le Président de la République de l’époque Jacques Chirac et m’a valu d’être détaché à temps partiel pendant deux ans au comité de rédaction de cette convention, installé au siège de l’ONUDC à Vienne. La Convention dite « de Palerme » a été signée en 2000 dans cette ville et immédiatement ratifiée par la France.

    En 2000, à l’occasion de la Présidence française de l’Union Européenne, mon expérience internationale et européenne a conduit à ce que me soit confiée la création et la direction la Cellule Européenne de la Direction Centrale de la Police Judiciaire avec la mission de proposer et soutenir les projets de coopération policière opérationnelle que la France voulait voir aboutir au plan européen.

    A l’issue de cette expérience positive et enrichissante et l’obtention du grade de Commissaire Divisionnaire, je me suis vu attribuer le poste de Chef de la Division des Relations Internationales de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, service interministériel dont la mission est de permettre et activer l’échange des informations opérationnelles de police à travers les canaux de coopération que sont le Système Schengen, Interpol et Europol.

    En tant que représentant français entre 2000-2006 au sein des instances de direction d’Interpol et d’Europol, j’ai pu m’apercevoir que des progrès importants restaient à faire dans la coopération policière internationale. Le poste de Directeur Adjoint Exécutif d’Europol étant ouvert, j’ai, avec le soutien du Ministre de l’Intérieur en place à ce moment-là, Nicolas Sarkozy, fait acte de candidature. Après avoir été sélectionné parmi la cinquantaine de postulants j’ai attaqué mon premier mandat avec le souci d’améliorer la coopération policière européenne.

    Durant ce premier mandat à Europol (2006-2009) j’ai été chargé de la Gouvernance de l’Agence ce qui regroupe les relations internationales, les finances, les ressources humaines, la logistique et la sécurité. Après le renouvellement de mon mandat en 2009 obtenu à l’unanimité du Conseil Européen des Ministres Justice et Affaires Intérieures, le nouveau Directeur anglais d’Europol m’a demandé de prendre en charge de 2010 à 2014 le Département des Opérations qui est le cœur opérationnel de l’Agence (ce qui est également mon métier de base). Ce département m’a permis d’avoir la responsabilité directe de 300 agents d’Europol, pour la plupart policiers des pays membres, mais également la supervision des 200 officiers de liaison représentants directs des polices nationales.

    Au cours de mes 8 années d’activité à Europol, grâce à un excellent travail d’équipe, l’Agence a gagné une crédibilité qui ne lui était pas acquise dans les premières années et est passée de 400 à 900 agents, ceci confirmant et soutenant l’extension des tâches qui lui étaient confiées. C’est ainsi qu’au 1er Janvier 2013 était créé l’European Cyber Crime Center (EC3) et que j’ai été amené à lancer la création du Counter Terrorism Center (CTC) en 2014, aboutie en 2015.

    Je dois également mentionner que j’ai également enseigné tant que spécialiste de la criminalité organisée de type mafieux, notamment à l’Université de Grenoble comme Professeur associé (Droit et Sciences Politiques), auprès de l’École Nationale d’Administration, de l’École Nationale de la Magistrature ou encore à l’Institut des Hautes Études de Sécurité (INHES-J). Ceci m’a aussi conduit à intervenir dans de nombreux séminaires internationaux et lors d’émissions de télévision ou de radio portant sur ces sujets et à publier des articles dans diverses revues spécialisées.

    • Pouvez-vous nous introduire brièvement les objectifs d’Euromed Police ?

    L’objectif général d’Euromed Police est le renforcement de la coopération de sécurité (sous l’angle particulier de la coopération policière) entre les pays de la rive sud de la Méditerranée et l’Union Européenne en s’appuyant sur l’expertise des Agences Européennes Europol et Cepol, d’Interpol mais aussi des services de police de l’Union Européenne.

    Pour la phase IV d’Euromed Police qui s’est déroulée entre Février 2016 et Janvier 2020 l’objectif a été de trouver des domaines sur lesquels les pays partenaires du Sud étaient particulièrement intéressés et qui soient en même temps des priorités pour les forces de sécurité des pays membres de l’Union Européenne.

    Dans ce but une mission d’évaluation a été entreprise auprès des autorités de police des pays partenaires, à l’issue de laquelle ont été identifiées 5 grandes priorités qui devaient constituer les axes de travail pour un renforcement des capacités :

    • Lutte contre le terrorisme (utilisation de l’Internet par les groupes terroristes)
    • Lutte contre le trafic d’armes
    • Lutte contre la cybercriminalité
    • Lutte contre le trafic de migrants et de personnes aux fins d’exploitation
    • Lutte contre le trafic de drogues

    C’est d’ailleurs la parfaite concordance entre les objectifs des différents partenaires – agences européennes, états membres, états partenaires – qui a été l’un des éléments clés du succès de cette phase du Projet.

    • Avec le recul qui est le vôtre aujourd’hui, quel intérêt avez-vous trouvé à ce projet ?

    Malgré un investissement important et ancien dans la coopération policière internationale et européenne, je n’avais pas eu l’occasion d’appréhender cette coopération sous l’aspect « Projet », c’est à dire mettre en concordance des objectifs et des moyens (notamment humains et financiers) sur une période déterminée et limitée. C’est également une façon de travailler en équipe réduite mais dynamique qui m’a particulièrement plu et qui permet de mesurer rapidement, notamment par le retour des pays partenaires, si ce que vous faîtes est accepté.

    Un autre intérêt que j’ai trouvé à ce Projet est la connaissance approfondie que cela m’a permis des services de police des pays partenaires, de leurs moyens et méthodes que je n’avais approché que de façon très superficielle dans mes fonctions précédentes à Interpol.

    • Qu’avez-vous mis en place qui pourra être pérennisé ?

    Pour structurer l’activité du Projet Euromed Police nous avons mis en place deux réseaux :

    Le premier de ces réseaux est le Réseau Euromed des Analystes qui a pour mission de faire remonter dans les domaines d’activité du Projet (cf les cinq priorités évoquées supra) les évolutions des phénomènes criminels pour en avoir une connaissance affinée d’abord mais surtout pour qu’ils soient pris en compte par les services de police pour en assurer une meilleure répression. Ce réseau est constitué de policiers membres des états partenaires qui sont soit spécialistes de l’analyse criminelle, soit spécialistes de secteurs particuliers de la criminalité (terrorisme, stupéfiants notamment).

    Par ailleurs ces informations sont transmises sur une plate-forme d’experts à Europol, l’Euromed Threat Forum où elles sont mises à disposition des services intéressés.

    Le deuxième Réseau mis en place a été celui du « Renforcement des Capacités (en anglais Capacity Building Network) dont la mission est de mettre en forme les actions de sensibilisation ou de formation nécessaires pour faire face aux nouveaux modes d’activité criminels identifiés par le Réseau d’Analyse. Ce réseau est constitué à la fois par des policiers de terrain et des spécialistes de la formation policière qui, à l’occasion de séminaires ou trainings, produisent du matériel de formation et le transfèrent sur une base de données créée par le Projet au sein du CEPOL, qui est l’Agence Européenne de Formation Policière dont le siège est à Budapest.

    Ces quatre outils – les deux réseaux et les deux plateformes numériques-  étant considérés comme la colonne vertébrale du Projet ont été repris par les deux agences qui poursuivent le Projet – Cepol à titre principal avec le soutien d’Europol- et seront pérennisés.

    • A titre personnel qu’avez-vous appris de ces 4 années de mise en œuvre et qu’en retiendrez-vous ?

    A titre personnel ce que je retiens de façon majeure de ces 4 années c’est que toute action de coopération pour qu’elle soit parfaitement acceptée et réussie doit être basée sur un principe de plein partenariat en utilisant les capacités existantes et reconnues des services de police des pays partenaires du Sud.

    C’est ainsi qu’on a pu se rendre compte en allant conduire les activités de renforcement de capacités (séminaires, actions de formation) dans les pays partenaires du Sud, qu’en certains domaines particuliers, notamment dans la lutte anti-terroriste et plus spécifiquement la lutte contre la radicalisation, nombre de ces pays (parmi lesquels la Jordanie et le Maroc) étaient plus avancés que la plupart des pays de l’Union Européenne.

    Pour aller plus loin dans ce souhait d’impliquer les pays partenaires, il paraît essentiel qu’une majorité des activités des projets de ce type soient réalisés dans les pays partenaires du Sud. Dans la phase IV d’Euromed Police, c’est plus de moitié de la cinquantaine d’actions mises en place en 4 ans qui ont eu lieu dans l’un des pays de la rive sud de la Méditerranée.

    Ce que j’en retiendrai essentiellement c’est que si les participants à Euromed Police dans sa phase IV ont adhéré sans aucune réticence à ce nouveau concept dont l’approche diffère d’une coopération classique, c’est qu’ils ont eu l’impression réelle d’être des partenaires pleins et entiers.

    • Comment appréhendez-vous le rôle de Civipol ? A quel type d’expertise avez-vous eu recours notamment en France ?

    Personnellement j’ai appréhendé le rôle de Civipol comme allant au-delà du simple « back-up » qui était néanmoins très important même s’il était quelque peu obéré par l’éloignement géographique, le siège d’Euromed Police étant à Bruxelles, celui de Civipol à Paris. En effet le rôle des « Programme managers » de Civipol de par l’expérience qui était la leur nous a permis, par les conseils prodigués, de rester dans cette logique Projet et de l’exploiter au mieux, par exemple au niveau du séquencement des activités.

    L’Equipe de Projet a eu recours, notamment en France, principalement à l’expertise de policiers ou gendarmes et ce avec quatre types de profils :

    • Des policiers et des gendarmes en situation d’activité spécialistes de domaines de criminalité (stupéfiants, cybercriminalité, terrorisme)
    • Des policiers spécialistes de la formation de façon à ce que le contenu technique des formations réponde aux critères de qualité facilitant la réception du message
    • Des policiers ayant des fonctions de direction permettant la vision stratégique de l’action policière
    • Des policiers récemment retraités ayant une expertise certaine mais ayant également un recul et parfois une vision plus critique des pratiques en cours dans les services de police.
    • Mais le Projet a également fait appel à des représentants de la Justice, des Douanes et du secteur privé pour avoir une vision sans « œillères » de l’activité policière.

     

    Euromed Euromed
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    Michel Quillé Michel Quillé